"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

lundi 16 février 2009

Guy Debord sauvé par Nicolas Sarkozy


Le paradoxe n’aurait pas forcément déplu à Guy Debord. Il y aurait sans doute vu la confirmation suprême de ses analyses.

Guy Debord était le fondateur de « l’Internationale Situationniste ». Il était le pourfendeur implacable de la société marchande, cette société qui se donne en spectacle, qui n’existe que par le spectacle qu’elle donne (ou vend) de sa propre marchandise.

Guy Debord, auteur prémonitoire de « La Société du Spectacle » (1967), avait préfiguré, avec brio mais sans jamais s’en rengorger, le mouvement social, politique et sociétal (comme on dit aujourd’hui) de Mai 68.

Guy Debord fut, comme Antonin Artaud, un « suicidé de la société ». Debord, rongé par une cirrhose, reclus et oublié dans sa maison de Haute-Loire, s’est tiré une balle dans le cœur le 30 novembre 1994. Il avait 62 ans.

Un écrivain ou un essayiste laisse toujours derrière lui un gros amas de papiers, de manuscrits et de notes diverses. L’université américaine de Yale avait manifesté son intention d’acheter à bon prix la totalité des archives de Guy Debord.

Ce n’était pas une destination infâmante car les universités américaines ont, mieux que les nôtres, reconnu très vite la place occupée par Guy Debord dans le mouvement intellectuel de la seconde moitié du XXe siècle en France.

Mais, patatras, coup de théâtre ! Les archives de Guy Debord ne quitteront pas le territoire national ! Ainsi en a décidé Christine Albanel, ci-devant Ministre de la Culture du gouvernement présidé par Nicolas Sarkozy.

Les œuvres et les manuscrits de Guy Debord viennent d’être officiellement classés par la « Commission consultative des trésors nationaux », au même titre que la cathédrale de Chartres ou le château de Chambord. Exportation interdite !

C’est ainsi que Guy Debord, le situationniste, l’inspirateur subliminal de la « chienlit » de Mai 68, Guy Debord est considéré désormais comme étant « un trésor national », par une ministre désignée par Nicolas Sarkozy, cet homme politique qui promettait sur les tréteaux de sa campagne présidentielle de « liquider l’héritage de Mai 68 ».

Christine Albanel, vestale culturelle de Nicolas Sarkozy, ne « liquide » pas Guy Debord. Bien au contraire, elle le protège en le soustrayant à l’attraction des universitaires américains. Elle l’embaume. Debord, mon trésor !

« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles », écrivait Guy Debord.

Autour de ses vieux papiers, on organisera prochainement des colloques et des expositions, patronnés par le Ministère de la Culture. Ironie extrême : Guy Debord est devenu un spectacle, avec la bénédiction de Nicolas Sarkozy et de son gouvernement.

Qui l’eût dit ? Qui l’eût cru ? La boucle est bouclée.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous dites que Debord était « rongé par une cirrhose», c'est inexact. Debord était atteint d'une polynévrite alcoolique (cf. Guy Debord, Œuvres, collection Quarto, Gallimard p. 1878). Quant à Debord devenu un spectacle, rien n'est moins certain car ce système n'arrivera pas à le digérer – il lui restera en travers de la gorge !

Guillaume a dit…

Parfaitement d'accord!
D'ailleurs, ce n'est pas la première fois qu'on l'accuserait d'^tre "récupéré" ; mais de ces nombreuses accusations de "récupération", il a dû en répondre déjà de son vivant, avec habilité (par exemple, dans son "Panégyrique").
Mais que le système dominant récupère à tout crin jusqu'aux plus acerbes de ces critiques, ce n'est pas nouveau, ce n'est qu'une énième confirmation de ce déploiement du spectacle toujours plus "intégré"!