"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 14 décembre 2010

L'adieu à Jean-Marie Lefebvre

Triste matinée en l’Eglise Saint-Thomas d’Aquin.

Comme disent les mauvais journalistes pressés : «l’église était trop petite». Et c’était pourtant vrai ce matin.

Jean-Marie Lefebvre aurait ri à ce cliché car il était le contraire d’un mauvais journaliste pressé. Plusieurs centaines d’amis sincèrement bouleversés lui ont rendu un dernier hommage.

Philippe Labro a très bien exprimé, à Saint Thomas d’Aquin, ce que nous ressentons tous : Jean-Marie incarnait l’élégance, la courtoisie et la droiture. Des qualités rares dans ce métier, croyez-moi.

Dans les cérémonies d’obsèques, il y a souvent beaucoup d’hypocrisie. Je n’en ai ressenti aucune, cette fois.

J’ai vu passer, comme tout le monde, l’épouse de Jean-Marie et leurs deux jeunes fils. Ils ont eu la chance d’aimer et de côtoyer cet homme généreux, drôle et altruiste.

Cette chance, beaucoup d’entre nous, chacun à notre façon, l’avons eue aussi. C’est ce souvenir que nous garderons, que je garderai de Jean-Marie Lefebvre.

Je n’arrive pas à croire que Jean-Marie ne m’apostrophera plus en évoquant la guerre des Malouines, notre gimmick commun (trop long à expliquer).

Ciao, JML, ce fut vraiment trop court.

JG

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Ci-dessous, je reproduis le beau texte que Philippe Labro a signé dans ‘Le Figaro’ hier lundi 13 décembre.

LA VOIX D’UN HOMME

Un ami s'en va, un journaliste. Un homme de rare qualité dont la brutale disparition, mercredi dernier, à Paris, a remué et remue encore celles et ceux qui l'ont connu, et plonge tout un corps de métier dans la tristesse.

Il s'agit de Jean-Marie Lefebvre, 1,92 mètre, cheveu noir, œil pétillant, silhouette longue et élégante, légèrement voûtée, personnage qui possédait la singulière faculté de faire se rencontrer les amis de ses amis, une sorte de «passeur» des sensibilités et des intelligences, un cœur ouvert aux autres.

Son portrait, celui d'un ami, certes, mais aussi d'un «pro» qui a traversé plusieurs rédactions (Europe 1, la 5 pour la télévision) pour se retrouver, à RTL, au sein de cette radio qu'il chérissait comme une deuxième famille, permettra peut-être de cerner quelques caractéristiques d'une profession qui se vit comme une vocation, une passion. En radio, il n'y a pas d'image, ce qui confère à ceux qui animent les journaux l'avantage de ne pas céder aux tentations de la «télébrité». Mais il y a la voix, et, après tout, une voix raconte un être humain. Si les auditeurs du «Journal de 18 heures» de RTL (aux côtés de Jean-Pierre Defrain) pendant dix ans, de 1992 à 2002, se souviennent de Lefebvre, c'est que sa voix le définissait en partie: veloutée et simultanément forte, objective et cependant très proche, presque intime. Dans ce que l'on appelle la «couleur sonore», on pouvait reconnaître la capacité de synthèse, la faculté d'expliciter l'actualité sans verser dans l'érudition ostentatoire, pas plus que dans la familiarité populiste. On pouvait imaginer, dès lors, que cet homme était habité par une nécessité de comprendre le monde contemporain, ce qui constitue l'un des fondements du journalisme. On a ça dans le sang, ou on ne l'a pas. On observe d'abord, on comprend ensuite, et puis on essaie de faire comprendre - e n se réservant bien de trop juger.

- Tout petit, confie sa mère, il lui fallait écouter la radio, il refusait d'aller en vacances en trop haute montagne car on ne pouvait capter les informations.

Les portes de l'exotisme

D'où venait un tel appétit? D'un père, fonctionnaire, ou de cette maman qui lui transmit le désir de la lecture? Peut-être, plutôt, de la fascination qu'exerça, sur le petit garçon de 8 ans, l'aïeul, Gustave, un égyptologue, membre de l'Institut, qui fut conservateur en chef du Musée du Caire. Ce grand-père qui savait lui raconter Toutankhamon ouvrit au jeune Jean-Marie les portes de l'exotisme. Il rêva très tôt de pyramides, s'adonnant aux livres d'aventures.

Beaucoup plus tard, après ses études, il put assouvir sa soif de l'inconnu et rejoignit le «service étranger» pour parcourir le Proche-Orient, suivre les sommets Est-Ouest en Europe, devenir correspondant à Washington. Il avait, au lycée, côtoyé François Siegel, fils de Maurice, qui fut l'un des patrons-pionniers d'Europe 1, et habité dans le même immeuble qu'Hélène Carrère d'Encausse qu'il appelait sa «marraine». Coïncidences et affinités déclenchent souvent une ambition. Jean-Marie Lefebvre, peu à peu, au fil de ses voyages et de ses expériences, mit au point une méthodologie de travail basée sur la discrétion.

- Il aurait pu être diplomate, dit Olivier Mazerolle, son confrère et ami. Il connaissait tous les ambassadeurs, c'était presque le 13e homme du Quai d'Orsay, il avait l'entregent, la souplesse, le don d'écoute et, surtout, la sûreté de son choix. Il savait trier entre ce qui se dit et ne se dit pas.

Générosité en spirale

Le journalisme, tel qu'il fut pratiqué par Lefebvre, repose sur un ou deux principes élémentaires. D'abord, il faut toujours vérifier à plusieurs sources, c'est le fameux «check and double check», d'une certaine école anglo-saxonne. Ensuite, il convient de ne pas trahir ce qu'on appelle le «off» - ce qui est révélé en confidence. Ces lois non inscrites ne sont plus forcément en cours - c'est le moins qu'on puisse dire! - et l'on publie souvent tout et n'importe quoi, lorsqu'on ne vole pas les informations. Paradoxe: Lefebvre suivait WikiLeaks et se passionnait pour Internet mais il fonctionnait d'une autre manière. Il avait établi sa réputation et sa science à partir d'une vertu indispensable: la confiance.

- Il dégageait, dit Jean-Daniel Levitte, conseiller diplomatique du président, un rayonnement qui inspirait confiance, permettant qu'on se livre sans crainte d'être trahi. Il ne captait et ne restituait que l'essentiel. On pouvait l'informer en toute sérénité parce qu'il était doté d'un capital d'empathie exceptionnel.

L'on parvient ici à ce qui est, en vérité, le plus important: la nature réelle d'un être, qui dépasse les simples attributs professionnels. Avec ce sourire qui relevait le côté gauche de ses lèvres, ces fossettes de gamin émerveillé par la diversité de ses rencontres, avec une propension étonnante à créer des réseaux relationnels, franchir toutes les lignes de la vie politique, avec le don de soi qui consistait à rendre service, recommander tel à tel, lier, tisser, façonner une toile d'amitiés et fidélités, loyautés et complicités, l'homme qui rêvait de pyramides déployait, comme le dit Caroline Pigozzi, une «générosité en spirale». Il pouvait échanger ses informations et contacts sans mesquinerie, sans jalousie, sans utilitarisme, pour la simple joie muette d'aider les autres. C'était un transversal, pratiquant l'affection tous terrains, les «petits» comme les «grands», les notoires comme les anonymes. Sa personnalité était à facettes.

Axel Duroux se souvient ainsi de lui comme d'un «vrai Parisien», amoureux de sa ville, la connaissant de fond en comble pour l'avoir parcourue à pied. Ce grand marcheur arpentait les trottoirs et les bistros, les palais ministériels et les salles de concerts, toujours en mouvement, habité par une pulsion qui dissimulait beaucoup d'angoisse, car il avait l'obsession du «temps qui passe» et répétait: «Quand je ne serai plus là», comme si, devenu le mari heureux de Marie-Christine, le père attentif et attendri de deux garçons, il redoutait le destin de son propre père, mort à 62 ans, l'âge, précisément, de Lefebvre au jour de sa disparition. Étrange mélange d'un type chaleureux, rigolard et viveur et, cependant, secrètement hanté par toutes sortes d'interrogations, dévoré par le souci de protéger ceux qui lui étaient chers, dévoué à cette épouse qu'il appelait «vingt fois par jour», dit-elle.

Lefebvre, le contact le plus fiable de Paris, l'homme qui, pour RTL, s'infiltra dans l'avion présidentiel parti chercher Ingrid Betancourt à Bogota, à l'occasion de sa libération, et ce, au nez et à la barbe de tous ses confrères - le «scoop» de sa vie, mais ce fut la simple rétribution de son crédit: «Ah! Tu as réussi à monter», lui dit Kouchner. Eh oui! Il avait gagné ce privilège grâce à sa connaissance infinie des canaux d'influence, mais aussi parce que l'on ne pouvait rien refuser à un homme qui avait constamment fait preuve d'honnêteté et d'altruisme.

Énergie mystérieuse

Je l'attends, tôt le matin, au café du coin. Il arrive, vêtu d'un long manteau sombre, sourire aux lèvres, lunettes sur son grand nez, sa silhouette un peu dégingandée comme propulsée par une énergie mystérieuse, ayant déjà fait sa revue de presse, ayant déjà, sans doute, passé plusieurs coups de téléphone à quelques membres disparates de son univers multiple. Jean-Marie Lefebvre tend la main d'un geste ample, et de sa voix inimitable, il prononce le mot de passe de tout journaliste, le code d'entrée de la confrérie:

- Quoi de neuf?

Nous ne pourrons plus, désormais, lui répondre, et nous en sommes aujourd'hui un peu plus pauvres.

Philippe Labro

© Le Figaro


1 commentaire:

Anonyme a dit…

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