"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

lundi 31 janvier 2011

Silence, s'il-vous-plaît.


«Parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence.»

C’est le conseil que donnait Εὐριπίδης (Euripide), le poète grec (480 avant JC/406 avant JC).

Aujourd’hui, je garde le silence.

Pas envie de parler de Jacques Chirac vieillissant secouru par son épouse, pas envie de parler Nicolas Sarkozy convoquant à l’Elysée les handballeurs victorieux pour s’arroger un fragment de leur gloire, pas envie de parler de l’Egypte où la situation reste confuse.

Pas de mots assez forts. Le silence est d'or.

samedi 29 janvier 2011

Télévision : il faut sauver le soldat Taddeï !



Pourriez-vous avoir l’amabilité de transmettre cette petite note à Rémy Pflimlin, le patron de France-Télévisions, dont les projets commencent sérieusement à m’irriter ?

Parmi les idées en gestation dans les têtes pensantes du service public–dont celle de M. Pfimlin-, il y a celle qui consisterait à réduire la fréquence de l’émission de Frédéric Taddeï «Ce soir (ou jamais)», diffusée en deuxième partie de soirée, sur France 3, du lundi au jeudi.

Il serait question d’en faire une émission hebdomadaire. Frédéric Taddeï, interrogé par «Libération», confirme prudemment : «On m’a demandé de réfléchir à une version hebdomadaire et je ne suis pas contre l’idée d’y réfléchir».

Moi, le téléspectateur du service public qui paie sa redevance, je suis tout à fait opposé à ce que l’on réfléchisse à cette idée.

Que reproche-t-on à Taddeï ? Ne pas faire assez d’audience ? Objection rejetée : la mission du service public n’est pas de faire de l’audience, surtout à une heure dépourvue de publicité. Je veux que la télévision nationale publique de mon pays m’offre des émissions de débat et de réflexion intelligentes, même si nous ne sommes que 10.000 à les regarder.

Je ne dis pas que «Ce soir (ou jamais)» est une émission parfaite. Elle est parfois désordonnée et confuse. Mais elle constitue le seul espace où des invités peuvent débattre de questions de fond sans être interrompus toutes les 30 secondes par les rires forcés ou les applaudissements mécaniques d’un public artificiellement rassemblé dans le studio.

Chez Taddeï, il y a un public, mais il est dans l’ombre et il écoute. C’est une émission qui donne à réfléchir, qui donne envie de lire des livres, qui colle à l’actualité sans en être prisonnière. On n’y voit pas défiler la sempiternelle brochette de « people » en promo.

L’autre soir, assis à côté d’Edgar Morin, Nicolas Hulot (qui n’est pourtant pas ma tasse de thé) a pu exposer ses arguments sans qu’on le coupe pour lui poser la question idiote des 20 h : «Serez-vous candidat en 2012».

Le choix des invités fait par Taddeï est souvent remarquable. Il nous fait entendre des voix pertinentes et parfois méconnues. C’est un excellent animateur qui distribue bien la parole. C’est un interviewer cultivé et attentif qui sait éviter le style agressif et inutilement intrusif.

A chaque fois que je regarde «Ce soir (ou jamais)», j’apprends quelque chose et je remets en cause certaines de mes idées reçues (je le reconnais : il y a du boulot !).

Je veux que ce programme soit maintenu dans sa périodicité actuelle. Je n’en demande pas plus à Rémy Pfimlin. Je lui permets parallèlement de maintenir à l’antenne du service public les nombreuses émissions vulgaires et racoleuses qui figurent sur les grilles de programme. Ça ne me gêne pas : je ne les regarde pas.

N’allez pas croire que je formule cette exigence au nom d’une sorte de front de résistance des bobos gauchisants. Ce n'est pas mon obédience.

D’ailleurs, Sébastien Le Fol, directeur adjoint de la rédaction et responsable des pages ‘Culture’ du «Figaro» (pas exactement le journal préféré de Jean-Luc Mélenchon) partage mon point de vue.
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Voici ce qu’il écrit sur son blog intitulé «DU FIL À RETORDRE» :

Il se murmure que l'émission de débats de Frédéric Taddeï, Ce soir (ou jamais !), diffusée en deuxième partie de soirée sur France 3, serait menacée. Elle ne ferait pas assez d'audience, murmure-t-on. La direction de la chaîne aurait demandé à l'animateur de réfléchir à un nouveau programme hebdomadaire. Espérons que ce n'est pas une manière polie d'écarter définitivement Taddeï de l'antenne. Que son ton impertinent n'ait plus sa place sur la "Chaîne des régions", aux côtés d'Evelyne Thomas et de Laurent Boyer, nouveaux missionnaires de la proximité, on veut bien le croire. Mais le service public new look aurait tort de se priver de cet animateur fin, ironique, respectueux de ses invités et plus cultivé que la moyenne du Paf. Avec Ce soir (ou jamais!), Taddeï a remis à l'honneur la conversation télévisuelle, le débat vif, argumenté et souvent courtois. Son plateau respire la liberté, on y entend des voix discordantes. Que ce soit sur France 3, France 5 ou ailleurs, laissez-nous Taddeï.
Oui, Monsieur Pfimlin, laissez-nous Taddei ! Sinon, sinon... eh bien, je serais très en colère...

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Additif du 31 janvier : il semble que Frédéric Taddeï échappe finalement au couperet évoqué plus haut. Mais rien n'est jamais sûr à la télé. Ne relâchons pas notre vigilance.


Additif du 6 avril : le combat est perdu. L'émission de Frédéric Taddeï deviendra hebdomadaire en septembre. La télévision publique réduit son espace d'intelligence. C'est mauvais signe.

vendredi 28 janvier 2011

Non au mariage homosexuel (et hétérosexuel)


Pourquoi donc les homosexuels s’obstinent-ils à vouloir se marier devant Monsieur le Maire ?

La question a été une nouvelle fois repoussée par le Conseil Constitutionnel. Les neuf Sages qui viennent d’être consultés considèrent que l’interdiction du mariage homosexuel est conforme à la Constitution française. Le Conseil Constitutionnel s'en remet aux politiques et renvoie au Parlement la responsabilité de décider d'un éventuel changement dans la législation (article 75 -dernier alinéa- et article 144 du Code Civil).

Je pense que les Sages seraient encore plus sages s’ils rejetaient les deux formes de mariage, hétéro ou homo.

Oui, c’est tout simple : en finir avec le mariage, institution obsolète et en déclin.

Les chiffres de l’INSEE le confirment chaque année : 256.000 mariages (forcément hétérosexuels) en 2009 –dernière statistique disponible- en baisse de 3,5% par rapport à l’année précédente. On célèbre en France deux fois moins de mariages que dans les années 70. En outre, un mariage sur trois débouche sur un divorce, un sur deux dans les zones urbaines.

Alors pourquoi les homosexuels veulent-ils à tout prix se couler dans ce moule ébréché ?

Le PACS, formule alternative adoptée dans la douleur, est un système qui fonctionne désormais très bien : le nombre de ‘pactes civils de solidarité’ célébrés en 2009 a augmenté en un an de 20% avec 175 000 conventions signées.

Il est probable que bientôt les courbes vont se rejoindre et que les Pacsés supplanteront les mariés.

On va me rétorquer que les deux formes d’union ne confèrent pas les mêmes droits. Il est toujours possible d’améliorer les choses, mais la législation actuelle du PACS ne gêne pas les hétérosexuels qui représentent plus de 90% des Pacsés. C’est un plébiscite qui devrait faire réfléchir les homosexuels.

L’homosexualité a été dépénalisée en France le 27 juillet 1982. Sur proposition du ministre de la Justice, Robert Badinter, l'Assemblé Nationale a voté l'abrogation de l'article 332-1 du Code Pénal. Depuis cette date, l'homosexualité n'est plus considérée comme un délit. C’était la moindre des choses, l’essentiel.

Mais, après avoir enfin obtenu cette victoire, pourquoi les homosexuels veulent-ils absolument singer les hétérosexuels avec une cérémonie à la Mairie, sous le buste de Marianne ?

Principe d’égalité ? J’y vois plutôt une forme navrante de conformisme. Le mariage est devenu ringard. Son agonie a commencé.

Dans «le Deuxième sexe», Simone de Beauvoir écrivait : «Ce ne sont pas les individus qui sont responsables de l’échec du mariage : c’est l’institution elle-même qui est originellement pervertie




jeudi 27 janvier 2011

Le manège enchanté des médias...


Je résume :

Alexandre Bompard a quitté son poste de patron d’Europe 1 pour rejoindre la FNAC dirigée naguère par Denis Olivennes qui prend la tête d’Europe 1 avant d’avoir managé le Nouvel Observateur où arrive Laurent Joffrin qui est remplacé à Libération par Nicolas Demorand qui (comme Marc-Olivier Fogiel) quitte Europe 1 où Demorand est remplacé par Nicolas Poincaré de France-Info.

Pendant ce temps-là, Patrick Poivre d’Arvor, malgré ses efforts, n’a pas encore remplacé Ernest Hemingway dans l’histoire de la littérature.

Vous me suivez ? Vous êtes très forts !

Tunisie : le télégramme fatal de l'ambassadeur Ménat


A ceux qui me reprochent d’avoir accablé injustement Pierre Ménat, ambassadeur de France en Tunisie, muté brutalement à La Haye, je conseille de lire ce que publie aujourd’hui le journal « Le Monde ». Il y est question du dernier télégramme que Pierre Ménat a envoyé à Paris. Télégramme fatal.

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Aux dernières heures du régime Ben Ali, l’aveuglement de l’ambassadeur de France

LEMONDE


L'ambassadeur de France à Tunis estimait que le dernier discours télévisé de Zine El-Abidine Ben Ali, le 13 janvier, pouvait lui permettre de reprendre la main.

L'ambassadeur de France à Tunis estimait que le dernier discours télévisé de Zine El-Abidine Ben Ali, le 13 janvier, pouvait lui permettre de reprendre la main.AFP/FETHI BELAID


M. Ménat, 60 ans, a été remplacé, mercredi 26 janvier, par Boris Boillon, 41 ans, ambassadeur de France en Irak. Ce diplomate est très proche du chef de l'Etat français, Nicolas Sarkozy, dont il a été pendant deux ans, de 2007 à 2009, l'un des conseillers diplomatiques. Une façon, pour Paris, de tenter de tourner la page.

TUNIS, ENVOYÉE SPÉCIALE - Quatre-vingt-treize télégrammes diplomatiques sont parvenus au Quai d'Orsay en provenance de l'ambassade de France en Tunisie depuis le 1er janvier. Tous n'ont pas été rédigés de la main de l'ambassadeur Pierre Ménat, mais il est revenu à ce dernier la responsabilité de livrer les dernières appréciations françaises, quelques heures avant la chute du président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali. M.Ben Ali, estimait-il alors, "peut reprendre la main".

Très critiquée pour les déclarations des ministres français Frédéric Mitterrand, Bruno Le Maire et Michèle Alliot-Marie, aux premières heures du soulèvement tunisien, la France l'est aussi pour le rôle et l'appréciation de la situation par son ambassadeur en poste à Tunis. Dans son dernier télégramme avant la chute du régime, envoyé le 13 janvier à 21h14, M.Ménat écrit que le dernier discours de l'ancien chef de l'Etat tunisien, dans lequel il annonce qu'il ne briguera pas un sixième mandat en 2014, "peut lui permettre de reprendre la main".

Dans ce télégramme de deux pages, que Le Monde a pu consulter, l'ambassadeur conclut en relevant que les "rues se sont remplies de manifestants malgré le couvre-feu", sans préciser que ces manifestations favorables à M.Ben Ali sont totalement orchestrées. Un simple coup d'œil sur l'avenue Habib-Bourguiba – où circulaient des véhicules de location affrétés par le parti au pouvoir, le RCD– suffisait pour le constater. "Il faut attendre un peu pour être sûr que le message est bien passé", tempérait cependant l'ambassadeur.

"Que peut faire la France?", s'interrogeait-il alors en recommandant trois pistes dans la partie réservée au commentaire. La première chose à faire consistait, selon lui, à "entretenir avec les autorités tunisiennes un dialogue d'autant plus franc qu'il sera exempt de critiques publiques", lesquelles, ajoutait-il entre parenthèses,"favorisent ici les plus durs".

"Dans cette période dramatique pour elles, développait ensuite l'ambassadeur, les autorités tunisiennes ne sont pas fermées aux conseils que des amis peuvent leur donner", à quelques "limites" près: "Nos positions les plus nettes et les plus critiques ne peuvent être entendues que si elles ne prennent pas de forme écrite ou publique." Il ajoutait: "L'expérience a montré qu'à chaque fois que cette voie a été empruntée, l'effet a été contre-productif (…). D'ailleurs, le peuple tunisien, même lorsqu'il s'autorise de fortes attaques contre son pouvoir, se solidarise avec ce dernier contre des critiques extérieures…"

AUCUNE RENCONTRE AVEC LES OPPOSANTS

Les deux autres pistes évoquées mentionnaient "l'importance du forum pour l'emploi et la francophonie" prévu au mois de mai; et la poursuite du soutien de la France pour l'octroi du statut avancé de partenaire privilégié avec l'Europe, c'est-à-dire "en entraînant l'Union européenne dans une attitude constructive qui favorise non pas un régime mais tous les Tunisiens"

Le lendemain, des milliers de personnes criaient, sur la même artère Bourguiba, leur rejet du régime de M.Ben Ali, contraignant ce dernier, après quasiment un mois d'émeutes, à prendre la fuite. Dans ce même texte, M.Ménat soupçonnait, malgré un élan populaire indéniable de l'ensemble de la société, des manipulations. "Nul ne peut écarter l'exploitation de cette situation par des mouvements islamistes ou extrémistes", jugeait-il. Enfin, revenant sur les causes de "la perte de crédibilité" du régime, il évoquait la responsabilité des "accusations sans recul" de l'ancien ambassadeur américain révélées par WikiLeaks.

Aveuglement? Naïveté? L'ambassadeur de France apparaît bien loin de la société tunisienne. Nommé à Tunis en septembre 2009, il n'a jamais rencontré les opposants du régime, à commencer par les membres de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. "Il n'a vu personne", fustige Khédija Chérif, secrétaire générale de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme.

Un grief qui lui est d'autant plus reproché qu'à plusieurs reprises Imed Trabelsi, le neveu du couple présidentiel, maire du très huppé port de la Goulette, a été invité à la résidence de France. Or Imed Trabelsi, l'un des personnages les plus haïs du clan familial, était mis en examen et poursuivi par la justice française pour le vol, en 2006, d'un yacht appartenant à Bruno Roger, l'un des dirigeants de la banque Lazard.

Isabelle Mandraud (envoyée spéciale à Tunis)

©Le Monde

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Lire aussi à ce sujet sur ce blog : Le clairvoyant ambassadeur de France en Tunisie et L'ambassadeur Ménat chassé de Tunis

Avant qu'il ne soit trop tard : "Le Président" Georges Frêche


Pour nous changer un peu de la Tunisie (sur laquelle j’ai beaucoup écrit ces derniers temps), faisons un petit détour par le Languedoc-Roussillon.

Mieux vaut tard que jamais. Je vais vous parler du documentaire «Le Président», film d’Yves Jeuland, sorti le 15 décembre dernier, le portrait fascinant d’un personnage hors normes : Georges Frêche (mort le 24 octobre 2010 à l’âge de 72 ans).

Au passage, un mot sur la distribution cinématographique en France. Pour voir fin janvier un film sorti à la mi-décembre, il faut que le spectateur fasse beaucoup d’efforts. C’est le principe de la distribution Kleenex : on jette aussitôt après usage. Dany Boon envahit les salles et s’y installe pour des mois. Mais les autres films sont poussés dans les oubliettes. Pourtant «Le Président» avait été salué par la critique et avait bénéficié d’une très bonne couverture médiatique.

Moins d’un mois et demi après son apparition sur les écrans, le film de Jeuland est devenu très difficile à voir. Il n’est plus projeté que de manière sporadique dans trois salles à Paris. Les provinciaux sont encore moins bien lotis.

C’est mon ami FD qui m’a interpellé la semaine dernière : ‘Comment ? Tu ne l’as pas vu ? Il faut absolument que tu ailles voir «Le Président» !’ Et FD d’ajouter : ‘Ce film devrait être projeté à tous les étudiants en sciences politiques et en journalisme.’

Répondant à cette injonction pressante, j’ai donc vu «Le Président». Je ne vais pas revenir en détail sur tout ce qui a déjà été écrit sur le film.

Quelques remarques cependant :

  • Yves Jeuland nous montre Georges Frêche comme on ne l’avait jamais vu : roublard, truculent, truqueur, sincère, joyeux, épuisé. Un animal politique. On peut porter tous les jugements que l’on veut sur ce vieux bonhomme, mais il faut mettre à son crédit d’avoir accepté d’être filmé sans restriction pendant 6 mois. A l’heure des communicants castrateurs qui surprotègent les politiques, c’est une bouffée d’oxygène.
  • Le film nous fait découvrir les coulisses d’une campagne (celle des régionales en Languedoc-Roussillon) comme jamais elles n'avaient été révélées, sauf peut-être avec Raymond Depardon (pour VGE en 1974) ou avec Jeuland lui-même (les municipales parisiennes de 2001).
  • «Le Président» offre aussi un éclairage passionnant sur le fonctionnement des médias. Quand Jean-Pierre Elkabbach est en déplacement à Montpellier pour interviewer Frêche sur Europe 1, on assiste à l’entretien préalable. On voit aussi Frêche faire avec gourmandise une tournée des médias nationaux dans la capitale. C’est irrésistible de drôlerie.
  • Le travail de Jeuland est fait de sobriété, de précision et de justesse. Pas un mot de commentaire, aucune interview de Frêche ou de ses collaborateurs. Il n’y a que des scènes spontanées, filmées discrètement. Il est évident que Jeuland a réussi à faire oublier sa petite caméra numérique pour filmer ce qu’il voulait. J’imagine qu’il a accumulé des centaines d’heures de tournage. Son grand talent est d’avoir organisé de manière cohérente cette matière première abondante. Le découpage et le montage du film sont remarquables.

N’attendez pas le DVD ! Allez voir ce film avant qu’il ne disparaisse totalement des écrans. Vous ne le regretterez pas.

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Infos pratiques : Pour voir "La Président", il y a par exemple une séance ce soir à Rodez, une autre à Albertville et trois séances dans la journée toute la semaine à Montpellier. A Montpellier, c’est la moindre des choses.

mercredi 26 janvier 2011

L'ambassadeur Pierre Ménat chassé de Tunis. Le jeune Boris Boillon le remplace.

La sanction n’a pas tardé. Je l’écrivais ici (cliquez pour voir le lien), l’ambassadeur de France en Tunisie, Pierre Ménat, fait ses valises, comme je le prévoyais dès mercredi dernier.

Pierre Ménat est nommé ambassadeur à La Haye. Le climat aux Pays-Bas est moins agréable, il y a moins de palmiers et la résidence officielle n'a pas les charmes de la demeure palatiale de l'ambassadeur en Tunisie et de son parc de trois hectares. Moins de tajine au menu pour Son Excellence, mais davantage de hareng salé et de pommes de terre. Il est peu probable toutefois que le peuple néerlandais se soulève prochainement contre ses dirigeants. Pierre Ménat peut dormir tranquille. (Lire en cliquant ici l'article du journal "Le Monde" qui raconte les errements de Pierre Ménat)

Il vient d’être brutalement remplacé à son poste en Tunisie par le chouchou de la diplomatie française, Boris Boillon, nommé ce matin par le Conseil des ministres.
Boillon a 41 ans. C’est le plus jeune ambassadeur français. Il était depuis 2009 ambassadeur de France dans une capitale à hauts risques : Bagdad.
Auparavant, il avait travaillé dans la cellule diplomatique de l’Elysée. Nicolas Sarkozy qui l’aime beaucoup l’appelle familièrement «mon petit arabe», ce qui est un peu exagéré. Il est vrai aussi que le Libyen Kadhafi l’appelle «mon fils». Boillon est né à Pontarlier mais a passé son enfance en Algérie avec ses parents enseignants.
C’est un très bon connaisseur du Maghreb. Il a été en poste à Alger. Il est arabophone, qualité rare au Quai d’Orsay.
Il est jeune et devrait mieux appréhender Internet et les réseaux sociaux, des sources d’information qui ont totalement été négligées pendant la crise tunisienne par son prédécesseur Pierre Ménat.
Après les errements de la France autour de la chute de Ben Ali, la France réagit en éjectant un ambassadeur amorphe et défaillant, plus doué pour organiser des soirées karaoké dans sa belle résidence que pour comprendre ce qui passe dans le pays où il était poste.
La nomination de Boris Boillon ressemble fort à une décision personnelle de Nicolas Sarkozy. Le président de la République n’avait pas caché sa colère à propos du manque de réaction de l’ambassadeur Ménat qui s’expliquera le 1er février prochain devant une commission parlementaire à Paris.
Nicolas Sarkozy nomme à Tunis un de ses poulains. C’est un camouflet de plus pour Michèle Alliot-Marie, très mollement défendue lundi par le chef de l’Etat lors de sa conférence de presse.
Boris Boillon, connaisseur du Maghreb, arabophone, jeune – donc probablement familier d’Internet et des nouveaux modes de communication : la France semble vouloir enfin tourner la page Ben Ali. Il était temps. C’est un message fort à destination des Tunisiens.
L’ambassadeur Boillon porte au poignet, comme Nicolas Sarkozy, une très belle Rolex. Il n’a que 41 ans. Comme dirait Jacques Séguéla (qui devrait se faire plus discret dans la nouvelle Tunisie que dans l’ancienne), Boillon n’a pas raté sa vie. Elle ne fait que commencer.
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Ce mercredi soir, vers 22h, parmi les internautes lisant cette page de mon blog, il y en avait un en Arabie Saoudite. Je peux le savoir grâce au logiciel de mon hébergeur. Et si cet internaute en Arabie Saoudite, n'était autre que l'ex-président Ben Ali ? Pourquoi pas...
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J'ajoute encore cette interview pathétique de l'ambassadeur Pierre Ménat, interview accordée à TV5 Monde le 17 janvier 2011. Il est en train de faire ses cartons après un échec majeur dans sa carrière. On sent bien que le diplomate est totalement déstabilisé. C'est à voir en cliquant ici. 

mardi 25 janvier 2011

Un Jardin envahi par les ronces


Je referme, après l’avoir lu, un livre gorgé de bruit et de fureur, de hargne et de remords. Ce n’est pas une lecture de tout repos. L’auteur est profondément malheureux. Il s’agit d’Alexandre Jardin.

Oui, le même Alexandre Jardin qui avait signé jadis «Bille en tête», «Le Zèbre» ou encore «Fanfan». Depuis ces bluettes virevoltantes, Alexandre a vieilli et, à 46 ans, il livre 300 pages sombres et exaltées sous le titre : «Des gens très bien» (Grasset – 2011).

C’est un règlement de compte avec lui-même par le prisme du fantôme de son grand-père, Jean Jardin, qui fut pendant l’Occupation le directeur de cabinet de Pierre Laval, président du Conseil dans la France vichyste.

On n’en sort pas, de cette période !

Ces derniers jours, l’ombre de Louis-Ferdinand Céline a ressurgi (voir en cliquant ici mes commentaires sur le lamentable épisode Serge Klarsfeld/Frédéric Mitterrand). J’ai dit également (cliquez ici) mon étrange fascination à propos de ces quatre années noires. Et je vous ai dit aussi avoir lu récemment (cliquez ici) le pavé de Dan Franck sur le comportement des artistes et écrivains à cette époque.

Dans l'actualité de ce mardi 25 janvier, reviennent encore l'Occupation et la déportation, avec la repentance tardive et forcée de la SNCF. Le président de la Société Nationale des Chemins de Fer Français, Guillaume Pépy, né 13 ans après le suicide d'Hitler et la fin du IIIème Reich, a exprimé les "regrets" de son entreprise à propos de l'aide logistique qu'elle a apportée dans les années 40 dans le bon acheminement ferroviaire des convois se dirigeant vers les camps d'extermination nazis.

Aux commandes de ces trains, les cheminots français, à la frontière allemande, passaient le relais à leurs collègues germains. Les cheminots français ont été, par ailleurs, parmi les plus actifs combattants de la Résistance, plus courageux par exemple que Jean-Paul Sartre (intellectuel timoré du Café de Flore) et André Malraux (aventurier phraseur, gaulliste d'apparat).

Pour la SNCF, cette repentance est largement commerciale car il s'agit pour elle de vendre plus facilement le TGV français en Floride. La contrition est un préalable à la signature d'un éventuel contrat. Il n'empêche qu'une fois encore, aujourd'hui même, cette page opaque de notre roman national a été ouverte.

La débâcle de juin 1940 et ses suites pétainistes sont comme une immense balafre sur notre Histoire, une plaie ouverte sur laquelle, périodiquement, on verse du vinaigre.

Alexandre Jardin s'y emploie avec obstination. Ce romancier léger et à succès (il se colle lui-même cette étiquette) répète à l'envi dans son dernier livre qu’il porte depuis l’enfance le poids du silence imposé par sa famille sur le passé du patriarche mort en 1976, Jean Jardin, surnommé «le nain jaune».

Ce ne sont pas les ouvrages qui manquent pour décrire ce personnage. C’est Pascal Jardin, fils de Jean et père d’Alexandre, qui a brossé le premier portrait (aimable et tolérant) dans un livre intitulé justement «Le Nain Jaune» (Julliard – 1978).

Huit ans plus tard, Pierre Assouline s’empare du sujet et nous offre «Une éminence grise» (Balland – 1986). Assouline est un flâneur régulier de l’Occupation. Il s’est beaucoup penché sur la question. Il faut lire notamment son «Lutétia» (Gallimard – 2005), chronique de cet hôtel parisien qui hébergea les officiers allemands avant de recueillir les rescapés des camps de la mort.

Nous avons sur cette période, Assouline et moi, exactement le même recul historique, à quelques heures de différence. Par un hasard extraordinaire, nous sommes nés le même jour de la même année : le 17 avril 1953.

Pierre Assouline, dans son livre, a dépeint Jean Jardin avec sollicitude et attention. Quoique Juif, c’est l’approche coutumière d’Assouline. Ses racines n’ont jamais influé sur ses perspectives. C’est cela qui m’avait séduit et troublé dans son rapport très personnel avec Lucien Combelle, journaliste collaborationniste que j’avais connu personnellement à la fin de sa vie.

Quand je dis «Combelle collaborationniste», je fais un raccourci injustement réducteur. Combelle était ami de Céline et de Léautaud. Combelle fut ami de Léautaud beaucoup plus que Pierre Perret n'a prétendu l'être ! Combelle fut aussi secrétaire de Gide.

Dans ces temps compliqués, il n’y avait pas que des brutes incultes, des miliciens obtus, façon «Lacombe Lucien». Il y avait des jeunes gens confrontés à un contexte, somme toute, indéchiffrable. Ce qui avait conduit Combelle à collaborer (le mot est lourd) à «Je suis partout».

L’Histoire ne s’écrit pas en noir et blanc, surtout quand le vert-de-gris s’y mêle. Il faut lire «Le fleuve Combelle» de Pierre Assouline (1997, Calmann-Lévy – republié en ‘Folio’) pour appréhender les mirages auxquels cette génération a été confrontée.

Je reviens à la famille Jardin sur laquelle nous sommes donc puissamment documentés. Alexandre Jardin a écrit un roman sur son père Pascal en choisissant comme titre le sobriquet donné à son géniteur : «Le Zubial» (Gallimard – 1997). Parce qu’il y avait visiblement tant de choses à dire sur la famille Jardin, Alexandre a récidivé ensuite en écrivant : «Le roman des Jardin» (Grasset – 2005).

N’en jetez plus ! La coupe est pleine ! Ce patronyme Jardin, à force d’être sarclé, pourra-t-il refleurir ?

C’est l’objectif que se fixe Alexandre Jardin dans ce livre «Des gens très bien». C’est une entreprise d’élagage. Pour permettre à ses propres enfants de respirer enfin, Alexandre veut couper les branches mortes, en commençant par l’excroissance protubérante de son grand-père, Jean Jardin, bras droit de Laval quand Vichy approuvait la rafle du Vel d’Hiv.

Pierre Assouline a produit une critique féroce du dernier livre d’Alexandre Jardin qui est pourtant son ami. Assouline écrit ceci sur son blog: «‘Des gens très bien’ est à la littérature sur l’Occupation ce que ‘La Rafle’ est au cinéma sur l’Occupation : du pathos.» (pour lire le texte complet d'Assouline, cliquez ici)

Cela me semble bien sévère et, pour tout dire, hors de propos.

Alexandre Jardin, en crachant son venin à longueur de pages sur la mémoire de son grand-père, ne prétend pas faire œuvre d’historien. En écrivant, Alexandre accomplit sa catharsis. C’est son épuration (autre mot fortement connoté), son épuration à lui, à retardement. On a tondu des femmes à la Libération. Alexandre ne coupe pas les cheveux en quatre : du passé familial, il fait table rase.

La famille Jardin, depuis des décennies, a voulu enjoliver la figure du «Nain Jaune» : un simple exécutant, un fonctionnaire docile, un patriote perdu. Aujourd’hui encore, un oncle et cousin d’Alexandre entretiennent cette légende expurgée.

Alexandre écorche inlassablement son Papy pour mieux se laver lui-même d’une longue et lourde culpabilité. Culpabilité sans doute démesurée et infondée : un petit-fils est-il responsable des actes de son grand-père ? Doit-il les expier par une auto-flagellation littéraire ?

Alexandre Jardin pense que c’est nécessaire. Il en a viscéralement besoin. Alexandre est convaincu que son grand-père, bras droit de Laval, ne pouvait pas ne pas connaître l’horreur qui découlerait de la rafle du Vel d’Hiv.

Les historiens sont plus prudents. Même l’un des meilleurs spécialistes de cette époque, Jean-Pierre Azéma, n’a pas cette certitude absolue.

Azéma, historien émérite de l’Occupation, est lui-même le fils d’un collabo notoire. Azéma (qui a été mon prof comme il a été celui d’Alexandre Jardin), lui aussi, à sa façon, a voulu toute sa vie défricher cet enclos maudit des années 40. Alexandre Jardin a demandé à Jean-Pierre Azéma de lire son manuscrit avant publication. Azéma n’y a apporté que des corrections mineures.

Alexandre Jardin, en convoquant devant nous le souvenir encombrant de son grand-père, n’a pas voulu jouer à l’historien. Il a simplement voulu mettre en ordre ses affaires personnelles. Il a voulu crever un abcès. La famille Jardin, nous dit-il, a toujours réussi à auréoler d’un halo diffus et favorable la silhouette tutélaire du grand-père Jean.

Alexandre veut dissiper ce brouillard. Il veut humer de l’air frais. Son entreprise est poignante. Son livre est une épreuve. Le lecteur espère qu’après ce violent cri de douleur, Alexandre ira mieux. Il nous le dira peut-être dans son prochain ouvrage.