"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 22 février 2011

Les aventures de Boris Boillon (suite)



Sacré Boris !
Tous les jours, une petite révélation. La vidéo qui fait du buzz maintenant, c’est l’apparition de Boris Boillon, qui était encore ambassadeur en Irak, sur le plateau de Canal+ en novembre dernier. C’est donc assez récent.
Boris Boillon, que Kadhafi appelle affectueusement «mon fils», considérait que le colonel libyen n’était plus un terroriste.


Vous irez expliquer ça aux familles des centaines de morts de ces derniers jours en Libye...
Il faut dire que Boris Boillon est sur la ligne (verte) de son boss, Nicolas Sarkozy qui, on s’en souvient, avait accueilli en grandes pompes à Paris en 2007 le grand humaniste Kadhafi, guide de la Révolution.
Il semble maintenant que la Révolution se fasse plutôt contre le guide.
Cette jolie photo officielle aurait été retirée récemment du site de l'Elysée. La présidence de la République dément cette information en affirmant qu'elle n'y a jamais figuré. (Davantage de photos souvenirs en cliquant ici)

Et pendant ce temps-là, Michèle Alliot-Marie est en mission de la plus haute importance au Brésil. On devrait lui préparer d'urgence une visite sur l'ile de Pâques ou à Saint-Hélène, tant il est nécessaire qu'elle soit éloignée le plus longtemps possible du Maghreb et du Proche-Orient où elle est honnie (Honnie Moubarak, notamment).

Malgré (ou à cause de) l'éloignement de MAM en Amérique du Sud, une équipe de choc de la France qu'on aime et qu'on vénère vient de débarquer en Tunisie : Christine Lagarde, ministre de l'Economie, Laurent Wauquiez, ministre des Affaires européennes (ah bon, la Tunisie, c'est en Europe ?) sans oublier l'inénarrable Frédéric Lefebvre, secrétaire d'Etat au tourisme. Le boulot de Frédéric Lefebvre, c'est de promouvoir le tourisme en France, non ? Pas de sauver le tourisme tunisien. Mais passons.
Voici une photo de l'événement.
On ne voit hélas pas Frédéric Lefebvre mais on voit les autres autour de Mohammed Ghannouchi, premier ministre tunisien.
On voit aussi (juste derrière Christine Lagarde) Boris Boillon, notre ambassadeur de France local, ravi de la crèche mais pas en maillot de bain, cette fois.

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Voici, sur le même sujet, une tribune libre publiée aujourd’hui par «Le Monde»

"On ne s’improvise pas diplomate"
Un groupe de diplomates français de générations différentes, certains actifs, d'autres à la retraite, et d'obédiences politiques variées, a décidé de livrer son analyse critique de la politique extérieure de la France sous Nicolas Sarkozy. En choisissant l'anonymat, ils ont imité le groupe Surcouf émanant des milieux militaires, dénonçant lui aussi certains choix du chef de l'Etat. Le pseudonyme collectif qu'ils ont choisi est "Marly" – du nom du café où ils se sont réunis la première fois. Ceci est leur premier texte public.
La manœuvre ne trompe plus personne : quand les événements sont contrariants pour les mises en scène présidentielles, les corps d'Etat sont alors désignés comme responsables.
Or, en matière diplomatique, que de contrariétés pour les autorités politiques ! A l'encontre des annonces claironnées depuis trois ans, l'Europe est impuissante, l'Afrique nous échappe, la Méditerranée nous boude, la Chine nous a domptés et Washington nous ignore ! Dans le même temps, nos avions Rafale et notre industrie nucléaire, loin des triomphes annoncés, restent sur l'étagère. Plus grave, la voix de la France a disparu dans le monde. Notre suivisme à l'égard des Etats-Unis déroute beaucoup de nos partenaires.
Pendant la guerre froide, nous étions dans le camp occidental, mais nous pesions sur la position des deux camps par une attitude originale. Aujourd'hui, ralliés aux Etats-Unis comme l'a manifesté notre retour dans l'OTAN, nous n'intéressons plus grand monde car nous avons perdu notre visibilité et notre capacité de manœuvre diplomatique. Cette perte d'influence n'est pas imputable aux diplomates mais aux options choisies par les politiques.
Il est clair que le président n'apprécie guère les administrations de l'Etat qu'il accable d'un mépris ostensible et qu'il cherche à rendre responsables des déboires de sa politique. C'est ainsi que les diplomates sont désignés comme responsables des déconvenues de notre politique extérieure. Ils récusent le procès qui leur est fait. La politique suivie à l'égard de la Tunisie ou de l'Egypte a été définie à la présidence de la République sans tenir compte des analyses de nos ambassades. C'est elle qui a choisi MM. Ben Ali et Moubarak comme "piliers sud" de la Méditerranée.
Un WikiLeaks à la française permettrait de vérifier que les diplomates français ont rédigé, comme leurs collègues américains, des textes aussi critiques que sans concessions. Or, à l'écoute des diplomates, bien des erreurs auraient pu être évitées, imputables à l'amateurisme, à l'impulsivité et aux préoccupations médiatiques à court terme.
Impulsivité ? L'Union pour la Méditerranée, lancée sans préparation malgré les mises en garde du Quai d'Orsay qui souhaitait modifier l'objectif et la méthode, est sinistrée.
Amateurisme ? En confiant au ministère de l'écologie la préparation de la conférence de Copenhague sur le changement climatique, nous avons abouti à l'impuissance de la France et de l'Europe et à un échec cuisant.
Préoccupations médiatiques ? La tension actuelle avec le Mexique résulte de l'exposition publique d'un dossier qui, par sa nature, devait être traité dans la discrétion.
Manque de cohérence ? Notre politique au Moyen-Orient est devenue illisible, s'enferre dans des impasses et renforce les cartes de la Syrie. Dans le même temps, nos priorités évidentes sont délaissées. Il en est ainsi de l'Afrique francophone, négligée politiquement et désormais sevrée de toute aide bilatérale.
Notre politique étrangère est placée sous le signe de l'improvisation et d'impulsions successives, qui s'expliquent souvent par des considérations de politique intérieure. Qu'on ne s'étonne pas de nos échecs. Nous sommes à l'heure où des préfets se piquent de diplomatie, où les "plumes" conçoivent de grands desseins, où les réseaux représentant des intérêts privés et les visiteurs du soir sont omniprésents et écoutés.
Il n'est que temps de réagir. Nous devons retrouver une politique étrangère fondée sur la cohérence, l'efficacité et la discrétion.
Les diplomates français n'ont qu'un souhait : être au service d'une politique réfléchie et stable. Au-delà des grandes enceintes du G8 et du G20 où se brouillent les messages, il y a lieu de préciser nos objectifs sur des questions essentielles telles que le contenu et les frontières de l'Europe de demain, la politique à l'égard d'un monde arabe en révolte, nos objectifs en Afghanistan, notre politique africaine, notre type de partenariat avec la Russie.
Les diplomates appellent de leurs vœux une telle réflexion de fond à laquelle ils sauront apporter en toute loyauté leur expertise. Ils souhaitent aussi que notre diplomatie puisse à nouveau s'appuyer sur certaines valeurs (solidarité, démocratie, respect des cultures) bien souvent délaissées au profit d'un coup par coup sans vision.
Enfin, pour reprendre l'avertissement d'Alain Juppé et d'Hubert Védrine publié le 7 juillet 2010 dans Le Monde "l'instrument [diplomatique] est sur le point d'être cassé". Il est clair que sa sauvegarde est essentielle à l'efficacité de notre politique étrangère.
©Le Monde
et la réponse de l'Elysée, à cette tribune libre, par la voix du conseiller spécial du président de la République, Henri Guaino :


"C'est un tract politique qui a toutes les caractéristiques du tract, d'abord dans la façon de s'exprimer", en ce qu'"il n'y a pas d'argumentation, juste des jugements à l'emporte-pièce et enfin dans le fait qu'il est anonyme comme un tract", a déclaré ce mercredi matin Henri Guaino, conseiller spécial du chef de l'Etat, sur France Info, à propos de la tribune publiée la veille dans Le Monde par un groupe de diplomates anonymes critiquant sévèrement la politique étrangère française.
Les auteurs de cette tribune, "qui sont-ils ? De jeunes ambitieux qui cherchent des places, des diplomates retraités aigris?", s'est interrogé Henri Guaino. Cette publication montre que "la campagne électorale a commencé. Voilà, nous en avons les premières manifestations", a-t-il poursuivi.
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Et encore ceci qui réconfortera les diplomates français, canal historique. C’est un témoignage recueilli par Vincent Jauvert sur le site du Nouvel Observateur. Vous y trouverez un admirable plaidoyer en faveur de Pierre Ménat, l'ambassadeur français viré de Tunis et muté à La Haye après la chute de Ben Ali.
Voici le texte du 'Nouvel Observateur'
"Pourquoi j'ai signé la tribune contre la diplomatie de Sarkozy"
Hier "Le Monde" a publié une tribune très critique sur la politique étrangère de Nicolas Sarkozy dont il est beaucoup question aujourd'hui. Elle était rédigée par un groupe de diplomates actifs et à la retraite qui s'est surnommé « Marly ». J'ai interrogé l'un des rédacteurs du texte - qui souhaite rester anonyme. Voici son témoignage.
« Nous nous sommes retrouvés le 9 février dans le musée du Louvre, au café Marly (d'où le nom de notre groupe). Nous étions une demi-douzaine. Nous avons rédigé un premier texte, puis nous l'avons fait discrètement circuler. Au total, une trentaine de personnes (dont une vingtaine de diplomates toujours en activité) ont apporté leur touche à cette tribune.
Pourquoi maintenant ? Il y a eu plusieurs éléments déclencheurs. D'abord bien sûr le sentiment d'un vide sidéral après la révolution égyptienne. Alors qu'Obama s'exprimait tous les jours, l'Elysée était muet, ne savait que dire, si ce n'est critiquer son ambassadeur sur place.
Les diplomates ont été très choqués par les fuites organisées par l'Elysée contre l'ambassadeur en Tunisie, Pierre Ménat. On n'a montré aux journalistes qu'une partie de son télégramme sur la révolte. Malgré ce que l'on a écrit, Ménat parlait bien de l'hypothèse d'« un départ précipité » de Ben Ali. Il a servi de bouc émissaire d'une politique désastreuse. De telles fuites émanant de l'Elysée pour viser l'un de ses collaborateurs, c'est inédit !
Puis il y a eu la nomination de Boris Boillon à Tunis. Nous avions appris que Michèle Alliot-Marie avait proposé le nom d'un diplomate aguerri, l'actuel ambassadeur à Tripoli, François Gouyette. Mais l'Elysée a préféré envoyer ce jeune homme impulsif et immature. Malgré ce qui a été dit, nous savions qu'il a été un très mauvais ambassadeur à Bagdad. Encore une nomination incohérente après celle de Rama Yade à l'Unesco qui considère son poste comme une base alimentaire pour poursuivre sa carrière politique. Toujours le mépris du président de la République pour les diplomates - mépris dont il ne se cache même pas ! D'où la prise en main des dossiers sensibles de la diplomatie par le secrétaire général de l'Elysée, le préfet Claude Guéant.
Enfin et surtout il y a le style désordonné, amateur, de la diplomatie sarkoziste, obsédée par les coups. Il n'y a aucune vision à long terme. L'affaire Cassez est symbolique de cet état d'esprit: on est prêt à rompre avec Mexico pour une histoire de droit commun! Les diplomates rédacteurs de la tribune - de droite comme de gauche, énarques ou pas - considèrent que le président de la République a renoncé à une politique étrangère originale, singulière, visible qui était la marque de fabrique du gaullisme, qui a été reprise par François Mitterrand et Jacques Chirac.
Que faire ? A court terme, il faut tirer d'urgence les leçons de la Tunisie. On doit entretenir des relations avec des dictatures mais il ne faut plus être complaisant comme Nicolas Sarkozy l'a été. Dans ces pays, il faut autoriser les diplomates à rencontrer les représentants de l'opposition. C'est ce qu'a fait le Département d'Etat. En Tunisie et en Egypte, les Américains avaient des contacts avec les opposants. Lorsque leurs homologues français souhaitaient faire de même, Paris leur tapait sur les doigts. Il ne fallait pas froisser l'autocrate en place. Cela doit cesser."
©Le Nouvel Observateur

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