"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 6 septembre 2011

Une bouffée de Brésil en allant à Monoprix


Un tout petit rien, je vous assure. Je ne vais pas vous déranger très longtemps aujourd’hui. Juste le récit rapide d’un instant fugace et réjouissant. Une «épiphanie», comme disait James Joyce dans «Ulysse». Mais là, je fais mon cuistre...

Je marche ce matin en direction de mon «Monoprix», rue du Temple dans le 3ème arrondissement de Paris. Pas vraiment l’aventure. Nous sommes un mardi de septembre, plutôt grisouille.

Derrière moi, quelqu’un siffle joyeusement. C’est très mélodieux, très juste musicalement. Je reconnais immédiatement les notes de «A Garota de Ipanema». Il n’est pas courant d’entendre quelqu’un siffler cet air dans les rues de Paris aujourd’hui. D’ailleurs, le gens ne sifflent plus souvent de la musique en public.

"A Garota de Ipanema" (littéralement : "La jeune fille d'Ipanema"), c’est la célébrissime chanson brésilienne d’Antonio Carlos Jobin (musique) et de Vinicius de Moraes (paroles). La quintessence de la bossa nova, chanson composée dans les années 60, reprise par plus de 300 interprètes, un "standard" musical du XXème siècle, aussi universel que le "Yesterday" des Beatles. En anglais, avec Stan Getz au saxophone, c’est devenu "The girl from Ipanema".

Soudain, je ne suis plus sur le chemin de mon «Monoprix». Je suis au Brésil. Je me remémore mon voyage très ancien dans ce pays et la plage d’Ipanema, quartier chic de Rio.
Le texte de la chanson a été inspiré par une jeune fille de 19 ans, Heloísa Eneida Menezes Pais Pinto, plus connue sous le nom de Helo Pinh. Elle vivait à Ipanema et passait chaque jour, sur le chemin de la plage, devant le bar Veloso (aujourd'hui nommé «Garota de Ipanema»). 

Jobin et Moraes, le compositeur et l’auteur de la chanson, étaient des habitués de ce bar où je suis allé lors de mon voyage, dans les années 80.

Dans une autobiographie, Vinicius de Moraes se souvient de cette jeune fille : «Elle était le paradigme de la Carioca (l’habitante de Rio) à l'état brut : une fille bronzée, entre la fleur et la sirène, pleine de lumière et de grâce mais avec un fond de tristesse. Aussi portait-elle en elle, sur le chemin de la mer, le sentiment de ce qui passe, d'une beauté qui n'est pas seulement nôtre — c'est un don de la vie que son bel et mélancolique flux et reflux permanent.»

Le siffleur me dépasse sur le trottoir de la rue du Temple. Il marche plus vite que moi. C’est un grand gaillard blond, un peu barbu comme cela se fait aujourd’hui. Le garçon a une vingtaine d’années. Il est au moins deux fois plus jeune que la chanson. Il siffle toujours. Il s’éloigne. Je pénètre dans le «Monoprix». Je ne suis plus au Brésil.

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Voici une interprétation de la chanson par son compositeur. C'est une vidéo extraite d'un direct ancien de la télé brésilienne. Vous apprécierez au passage la douceur suave du portugais, tel qu'on le parle (et le chante) au Brésil.

Les paroles en portugais traduites en français :
Olha que coisa mais linda
Regarde quelle belle chose
Mais cheia de graça
Pleine de grâce
É ela menina, que vem e que passa
C'est elle la fille, qui vient et qui passe
Num doce balanço a caminho do mar
Dans un doux balancement sur le chemin de la mer

Moça do corpo dourado
Demoiselle au corps dorée
Do sol de Ipanema
Par le soleil d'Ipanema
O seu balançado é mais que um poema
Son balancement est plus qu'un poème
É a coisa mais linda que eu já vi passar
C'est la chose la plus belle que j'aie vu passer

Ai ! Por que estou tão sozinho ?
Oh, pourquoi suis-je si seul...
Ai ! Como tudo é tão triste
Oh, comme tout est si triste...
Ai ! A beleza que existe
Oh, la beauté qui existe
A beleza que não é só minha
La beauté qui n'est pas qu'à moi,
Que também passa sozinha
Que passe aussi toute seule

Ai ! Se ela soubesse que quando ela passa
Oh, si elle savait que quand elle passe
O mundo interinho se enche de graça
Le monde entier se remplit de grâce
E fica mais lindo por causa do amor
Et devient plus beau grâce à l'amour

Só por causa do amor...
Juste à cause de l'amour...