"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

dimanche 13 novembre 2011

Variation créole sur la serpillère


« Alé pass shifon mouyé dan la kour, don ! »

Si vous ne comprenez pas, c’est normal. C’est du créole réunionnais. Je découvre cette expression dans l’édition dominicale du «Journal de l’île de La Réunion», l’un des deux quotidiens de ce département français de l’Océan Indien.
Le Barachois à Saint-Denis de la Réunion

Le JIR (Journal de l’île de La Réunion, comme on désigne ici ce journal) propose régulièrement une chronique sur la langue créole, signée Daniel Honoré.

Aujourd’hui, c’est l’expression précitée qui est expliquée. On peut la traduire en français de cette façon : « Va donc passer la serpillère sur la pelouse !». Manière de dire : « va voir là-bas si j’y suis !» ou bien, selon l’élégante manière de notre distingué président : « casse-toi, pov’con !».

Le « shifon mouyé », c’est la serpillère. Facile à comprendre. La « kour » en créole réunionnais n’a pas le même sens que le mot français « cour ». La « kour » à La Réunion désigne l’espace découvert autour d’une maison ou d’une case. A l’origine, la « kour » était cultivée en verger ou potager. De nos jours, la « kour » est le plus souvent recouverte d’une pelouse. L’expression invite donc l’importun auquel on s’adresse avec mépris à aller passer un coup de serpillère sur la pelouse.
 
Cette évocation tropicale de la serpillère m’invite à mentionner la version ch’ti de ce mot que l’on retrouve dans cette expression du patois nordiste : «J'va ker eule wassingue pour faire eul ménach.» En français : «Je vais chercher la serpillère pour faire le ménage.»

«Ker» est un verbe ch’ti qui signifie «chercher» (même origine que «quérir»). La serpillère du Nord, la «wassingue» puise son étymologie dans le flamand «wassen» (laver, proche de l’anglais «wash»).

En poursuivant cette exploration ménagère dans la francophonie, on trouve «la moppe» au Québec, «la panosse» en Suisse romande et, tout simplement, «le torchon» en Belgique.

Bon, vous n’avez pas l’obligation d’être totalement  passionné par cette divagation linguistique. Si tout cela vous a ennuyé ou agacé, rien ne vous empêche de me rabrouer en me lançant : « Alé pass shifon mouyé dan la kour, don ! »

vendredi 11 novembre 2011

Une photo de Colombie qui en évoque quelques autres...

Je ne sais pas dans quelles circonstances cette photo a été prise. Je sais seulement qu'elle est la trace d'un événement récent en Colombie. Sans doute une manifestation, encadrée par un fort déploiement policier.
©Fernando Martinez
En la regardant, je pense évidemment à cette autre photo (légendaire) prise à Paris en Mai 1968 par Gilles Caron : la confrontation entre des CRS et le jeune Daniel Cohn-Bendit, rieur et goguenard. 
©Gilles Caron
Dans le même esprit, on trouve aussi la célèbre photo prise par Marc Riboud à Washington, en octobre 1967, à l'occasion d'une manifestation contre la guerre du Vietnam. Cette image est connue sous le nom : "La jeune fille à la fleur".
©Marc Riboud

Le même jour, au même endroit, le photographe américain Bernie Boston prend cette photo :
©Bernie Boston

Plus récemment, en juin 2011, à Casablanca au Maroc, une manifestante s'avance vers les forces de l'ordre :
Toujours en juin 2011, à Vancouver au Canada, la ville se soulève après un match de hockey perdu par l'équipe locale. Le photographe Richard Lam saisit cet instant :
©Richard Lam

Mais, dans les images illustrant la confrontation entre l'ordre et les individus, la plus forte est celle du petit homme seul devant la colonne de chars, en 1989, sur la place Tien An Men à Pékin :

mercredi 9 novembre 2011

Orthographe : non aux élucubrations de l'Académie Française

Nos 40 «immortels» (ils sont 39 en ce moment car un fauteuil est vacant) viennent d’édicter de nouvelles règles orthographiques.

L’Académie Française propose quelques changements, présentés comme une «simplification». A mon avis, ça complique tout pour tous ceux, dont je fais partie, qui s’efforcent d’écrire le français correctement.

En conséquence, je continuerai d’orthographier comme on me l’a appris, sans tenir compte de l’avis de ces barbons (et barbonnes, forme féminine que j’invente sans leur consentement dont je me contrefiche).

D’ailleurs, mon correcteur d’orthographe n’a pas été averti des dernières élucubrations académiques. C’est à lui que je continuerai de me référer.

Voici, pour votre édification, ce que les habits verts ont manigancé sous leur coupole :

1 Les numéros composés sont toujours reliés par des traits d’union. Ex : trente-et-un, deux-cents (ancienne orthographe : trente et un, deux cents).

2 Dans les noms composés de la forme verbe + nom (pèse-personne) ou préposition + nom (sans-abri), le second élément prend la marque du pluriel seulement et toujours lorsque le mot est au pluriel. Ex : un compte-goutte, des compte-gouttes (avant : un compte-gouttes, des compte-gouttes); un après-midi, des après-midis (un après-midi, des après-midi).

3 On emploie l’accent grave (au lieu de l’accent aigu) dans un certain nombre de mots, ainsi qu’au futur et au conditionnel des verbes qui se conjuguent comme « céder ». Ex : évènement, règlementaire, ils règleraient (avant : événement, réglementaire, ils régleraient).

4 L’accent circonflexe disparaît sur le i et le u, mais on le maintient dans les terminaisons verbales du passé simple, du subjonctif et en cas d’homonymie. Ex : cout; entrainer (avant : coût, entraîner).

5 Les verbes en -eler ou -eter se conjuguent comme peler ou acheter. Les dérivés en -ment suivent les verbes correspondants. Exceptions : appeler, jeter et leurs composés. Ex : j’amoncèle, amoncèlement (avant : j’amoncelle, amoncellement).

6 Les mots empruntés aux langues étrangères forment leur pluriel comme les mots français et sont accentués conformément aux règles qui s’appliquent aux mots français. Ex : des matchs, un révolver (des matches, un revolver).

7 La soudure s’impose, en particulier, dans les mots composés de contr(e)-, entr(e)-, extra-, infra-, intra-, ultra-, avec des éléments savants (hydro-, socio-, agro-…) mais aussi dans les onomatopées et dans les mots d’origine étrangère. Ex : entretemps, tictac, weekend (entre-temps,tic-tac, week-end).

8 Les mots en -olle et les verbes en -otter (et leurs dérivés) s’écrivent respectivement -ole et -oter. Exceptions : colle, folle, molle et les mots de la même famille qu’un nom en -otte (comme botter, de botte). Ex : corole, frisoter (corolle, frisotter).

9 Pour montrer la prononciation du u, le tréma est déplacé sur la lettre u dans les mots comportant -guë- et -guï - et ajouté à la lettre u sur les mots en -geure ainsi qu’avec le verbe arguer. Ex : aigüe, ambigüe, ambigüité, argüer (avant : aiguë, ambiguë, ambiguïté, arguer).

10 Des anomalies sont supprimées. Ex : charriot, imbécilité, lunetier, relai… (avant : chariot, imbécillité, lunettier, relais…)

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Cela ne constitue donc pas un événement. Ce sont des imbécillités qui s’amoncellent dans un chariot et qui me donnent envie de sortir un revolver. Je n’en prendrai pas le relais. Na ! 

lundi 7 novembre 2011

Yves Montand : quelques feuilles mortes.












Après Brassens, Montand. 


Ce sera le cadavre que les médias vont déterrer cette semaine, à l’occasion du 20ème anniversaire de la mort de l’acteur-chanteur. En ce qui concerne Montand, la sortie du corps du caveau du Père-Lachaise avait réellement été réalisée en 1997, pour les besoins d’une recherche de paternité post mortem, avec test ADN, recherche qui se révéla infructueuse.

Communiste repenti pour cause de chars russes à Prague, converti au libéralisme reaganien («Vive la crise», à la télé), Montand a tourné une multitude de films et chanté toute sa vie. Du talent mais un sale caractère.

J’ai interviewé Yves Montand en août 1982. C’était dans sa loge de l’Olympia. Je travaillais à l’époque pour Europe 1. La rédaction de cette station, dégiscardisée et mitterrandisée, était dirigée alors par Ivan Levaï, ami personnel du couple Montand/Signoret.

En ce jour estival de 1982, ma mission était d’arracher à Montand quelques mots sur Marilyn Monroe avec qui il avait vécu une idylle hollywoodienne, fugace et retentissante. En août 1982, les médias préparaient la commémoration des 20 ans de la disparition de l’actrice américaine. Les anniversaires, toujours les anniversaires...

Ivan Levaï, en m’envoyant à l’Olympia, m’avait donné un conseil : «Tu interviewes gentiment Montand sur son spectacle et puis, à la fin, tu lui balances une question sur Marilyn. C’est ça qu’on gardera».

J’arrive à l’Olympia à l’heure dite, en fin d’après midi. Montand me fait poireauter une bonne heure dans le couloir de sa loge. Il me reçoit enfin. Il est un peu bougon mais, comme je suis recommandé par son ami Ivan Levaï, il m’accorde cette interview. 

Ainsi qu'Ivan Levaï me l’avait conseillé, j’interroge mollement Montand sur son tour de chant. Et puis je sors ma question sur le vingtième anniversaire de la mort de Marilyn. Là, d’un seul coup, Montand se bloque. Il est malin, il a vu arriver le piège, gros comme une maison. Simone Signoret, déjà très malade (alcool et cigarettes), est encore vivante. Inutile de rouvrir une vieille plaie sentimentale. 

Il se fâche un peu, pour la forme, et s’en sort par une pirouette en disant à mon micro : «Je ne parle pas de Marilyn Monroe. Celle qui a le mieux parlé d’elle, c’est Simone Signoret dans son livre ‘La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était’». Une petite promo pour le bouquin de Simone, Montand ne m’en dira pas plus. Il me donne congé. 

Je sors de sa loge en ayant raté mon coup : je n’ai pas obtenu de confidence croustillante sur Marilyn. Il était d’ailleurs bien présomptueux d’en espérer une. Je rentre bredouille à Europe 1 avec mon interview dont aucun extrait n’a jamais été diffusé.

Le soir, je retourne à l’Olympia car j’avais au passage obtenu de l’attachée de presse une invitation pour le spectacle de Montand. Une très bonne place, dans les premiers rangs. 


Je me retrouve assis à côté d’une journaliste américaine de l’hebdomadaire «Time». Elle est venue faire un article sur Montand, l’homme de scène. Elle ne parle pas français et je lui traduis les quelques mots que Montand glisse entre les chansons. Le show est impeccable, réglé au millimètre près. La voix de Montand (60 ans à l’époque) est encore bien timbrée. Tout le répertoire défile sans anicroche. Mais l’ensemble est froid et aseptisé. Montand, le perfectionniste, apparaît presque mécanique. 


Ce sont les impressions que je livre, en exagérant un peu, à ma consœur américaine qui prend des notes. J’avoue que je savoure une petite revanche après mon échec de l’après-midi : Montand ne m’a rien dit sur Marilyn, alors je l’égratigne auprès de la journaliste de «Time». L’article du magazine américain est paru quelques jours plus tard. On y lisait que le spectacle de Montand manquait de chaleur et de spontanéité... 


Montand n’a sans doute pas apprécié. Il ne pouvait pas savoir que j’avais soufflé mes impressions personnelles, teintées d’une rancœur mesquine, à l’oreille de la journaliste américaine.
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vendredi 4 novembre 2011

Vain G20


Réunissez 20 personnes qui ont des intérêts divergents autour d’une table. Prévoyez des interprètes car ces 20 personnes ne parlent pas toutes la même langue. Placez dans les antichambres une escouade de ministres et conseillers zélés qui pouponnent et rassurent chacune des 20 personnes assises autour de la table. Complétez le tableau par 3000 journalistes badgés et maintenus à bonne distance. Ajoutez 12.000 policiers, gendarmes, militaires, flanqués de chiens démineurs. Bouclez le tout à l’intérieur d’un périmètre de barrières infranchissables au cœur d’une station balnéaire du sud de la France dont les habitants sont parqués et les commerces presque tous fermés. (lire ici le récit édifiant de Jean Quatremer du journal "Libération")

C’est ça, le G20 qui s'achève aujourd’hui à Cannes. Facture : 20 millions d’€ prélevés sur le budget du Quai d’Orsay.

Comment 20 dirigeants venus en coup de vent et qui ont tous d’autres chats à fouetter et l’obsession de leur opinion publique respective, comment peuvent-ils raisonnablement apporter des solutions à une situation mondiale complexe et périlleuse en moins de 48 heures ?

Disons-le tout net : ce G20 (comme les G5, G6, G7 et G8 qui l’ont précédé) est une mascarade, un défilé d’égos, une foire aux vanités politiques, un grand spectacle organisé pour les médias. Ces médias qui se sentent obligés de l’infliger à leurs auditeurs, téléspectateurs et lecteurs. Lesquels, globalement, s’en contrefichent. Pour faire passer cette pilule insipide et ne pas lasser leur auditoire, les médias mettent en exergue les anecdotes, comme la blague de l’Américain sur le bébé tout neuf du Français : «Heureusement que la petite fille a le physique de sa mère...»

Dans ces «sommets», rien ne se décide jamais. J’en ai suivi quelques-uns comme journaliste à Houston (1990), Londres (1991), Halifax (1995), Denver (1997) sans oublier la kermesse de l’OMC à Seattle (1999). Je serais incapable de vous dire ce qui s’est passé dans chacune de ces rencontres internationales auxquelles j’ai pourtant assisté en personne. La presse ne sait rien, ne voit rien, n’entend rien. On l’enferme dans une grande salle avec des téléphones et des ordinateurs. Seule distraction : quelques conférences de presse furtives où les protagonistes viennent aligner des banalités sculptées en langue de bois.

Dans toutes les réunions de ce genre, le communiqué final, un fatras mou et consensuel qui ne dérange personne, est rédigé avant le début des palabres.

La chorégraphie du G20 de Cannes, soigneusement préparée depuis plusieurs mois,  a été légèrement modifiée à la dernière minute pour faire valser un vilain petit canard : le canard grec, lointain cousin des oies du Capitole. «Ce pelé, ce galeux d’où venait tout leur mal», pour citer le bon Jean de La Fontaine. Ce fut donc : «haro sur le baudet d’Athènes». Certes, le Grec et son peuple avaient été plus cigales que fourmis. «Quand la bise fut venue», la fourmi allemande et le coq gaulois ont lancé avec mépris à l’Hellène désemparé : «Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant.»

(dessin de Plantu ©Le Monde)
Sans cette petite séance d’humiliation (facile, sadique et hors programme), le G20 aurait plongé dans un ennui profond.

Mais à Cannes, ville qui affectionne les feux d’artifice autant que les tapis rouges, il y aura tout de même un bouquet final. Comme il l’avait déjà fait la semaine dernière (tiens, on avait déjà oublié !), le Français a réquisitionné ce soir les deux plus grosses télés de son pays.

Un créneau horaire de choix : la grand messe du 20 h. Pour officier, une vestale blonde (salariée du privé) et un enfant de chœur coiffé au bol (émargeant au service public). Ils sont convoqués dans le bureau du maire de Cannes où le décor de la cérémonie a été dressé. Ils auront face à eux un grand noir allongé (comme le café américain) et un petit blanc sec (façon «entre deux mers» ou plutôt entre deux eaux de sondages marécageux).

Les deux officiants de la grand messe auront le droit de poser poliment quelques questions à leurs grands prêtres, les deux Pythies, l’américaine et la française, qui rendront leurs oracles divinatoires : «Tout ira bien. Encore une fois, nous avons sauvé le monde».

Puis le grand noir allongé et le petit blanc sec grimperont dans leur gros avion respectif pour regagner leurs pénates.

C’est ainsi que s’achèvera le G20 de Cannes. 
Cela peut s’écrire aussi : G vain.

mercredi 2 novembre 2011

Le G20 à Cannes, vu de l'extérieur

Quelques photos de Cannes, juste avant l'ouverture du G20. 12.000 policiers, gendarmes et militaires. Les grandes puissances se barricadent pour se réunir. Un huis-clos. La peur.